"Moi je montrerai tout."

psychologue autour de moi
« Moi je montrerai. Je montrerai tout.
Mon cœur, mes émotions.
Vert-rouge-jaune-violet.
Haine-amour-rire-peur-tendresse. »
 
Niki de Saint-Phalle
 
Je me souviens avoir croisé au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Nice, une artiste qui m’a touché par la force de sa fragilité, son art hurlait la vie dans chacune de ses blessures. Il me tient à coeur de vous présenter Niki, Niki de Saint-Phalle, elle est née à Neuilly sur Seine en 1930 et est morte à La Jolla aux Etats-Unis en 2002.
 
Alors qu’elle n’était qu’une enfant, elle avait peint en rouge les fleurs du jardin de l’école. Plutôt que de voir ce qu’elle venait dire par ce geste audacieux, enseignants et parents ont décidé qu’elle serait enfermée, placée dans un asile pour délirants, un lieu dédié aux soins de ce genre de folie.
 
Elle était alors âgée de onze ans et subissait, en plus des abus sexuels de son père, la froide indifférence de sa mère.
 
La folie n’était donc pas là où l’on nous faisait regarder.
 
Malgré des années d’errance, son art devient bien plus qu’une thérapie, un cri, son cri unique pour dépasser et sublimer ses souffrances.
 
« Champagne, glacier, et fleurs », titre d’une lettre de 1979 que Nikki adresse à son amie artiste Marina Karella, résume à lui seul sa personnalité à la fois puissante, sensible et charismatique.
Grâce aux « Tirs » qui naissent en 1961, elle est enfin reconnue comme une artiste et acquiert, malgré les critiques cinglantes, une notoriété hexagonale. Elle crée ainsi des œuvres inédites en cachant sous du plâtre des sachets remplis de peinture; en tirant sur ses « toiles » avec une carabine, le tableau est blessé et renaît dans une nouvelle création. Rebelle, elle choisit de se servir d’un fusil, non pour détruire mais pour créer de nouvelles œuvres d’art.
L’artiste crache ainsi sa rage dans un geste exutoire; elle tire symboliquement sur les violences de son enfance, sur les injustices infligées par la société.Dès ces premières séances de tirs, les nouveaux réalistes l’invitent à rejoindre le groupe dont elle sera la seule femme.
Lorsque Niki se détache des « Tirs » en 1963, elle crée des sculptures d’un blanc impur qui paraissent parfois mortifères ou inquiétantes comme dans les séries représentant des mariés, des cœurs ou encore des femmes accouchant. Ses sculptures sont de tissus et de laine collés sur des treillages métalliques sur lesquelles Niki ajoute souvent des objets de récupération. Les femmes qu’elle représente sont encore enchainées, notamment par le mariage ou la maternité, et tentent de s’en délivrer.
 
Dès 1965, Niki s’attaque à la série des « Nanas » afin de mettre  de nouveau la femme en avant. Ces sculptures aux couleurs vives et aux formes généreuses, symbolisent la femme moderne, libérée des traditions. Les « Nanas » sont noires, jaunes, roses… elles sont multiraciales à l’image du monde.
 
L’artiste consacre une grande partie de sa vie à des projets monumentaux. Ses sculptures se métamorphosent en de véritables architectures: le toboggan Golem à Jérusalem en 1972 ou Hon, la plus grande des Nanas (28 Mètres de long) jamais construite par Niki en 1966 à Stockholm. Elle participe activement au Cyclope (1969-1994) de Jean Tuinguély mais c’est sans doute le jardin des Tarots qu’elle réalise en Toscane à partir de 1978, qui représente la plus grande aventure de sa vie.  
Ce monde merveilleux est parsemé de sculptures monumentales qui se visitent, recouvertes de mosaïques tout en s’intégrant à la nature environnante. Elle s’inspire pour cela de deux créations architecturales qui ont beaucoup marqué son œuvre: le Parc Gell d’Antoine Gaudi à Barcelone et le Palais Idéal du Facteur Cheval à Hauterives. Elle finance entièrement le projet et mettra plus de 20 ans à l’achever.
 
Si l’art lui a sauvé la vie, le gaz qu’elle inhale lors de la réalisation de ses sculptures en polyester, lui vaudra de graves maladies pulmonaires dont elle souffrira toute son existence.
Nous sommes les œuvres vivantes, une réponse à notre histoire. Se mettre au monde, c’est se libérer de soi, de son histoire et de ses peurs.
 
Pour le neurologue britannique, Oliver Sacks, les activités artistiques permettent de retrouver l’essentiel. Je partage entièrement cette idée, c’est en s’oubliant, en se perdant, en se fondant que l’on renaît vivant. On se relie, on se remet dans le sens du début, faisant partie intégrante de tout ce qui est vie.
 
« Musicophilia: La musique, le cerveau et nous », Oliver Sacks, Editions Points, 2014
 
A.L.F
15 juillet 2018.