Éclats de mémoire...

psychologue Alzheimer
«La nature de l’homme n’est pas d’aller toujours.
Elle a ses allées et ses venues.»
 
Blaise Pascal
 
Avez-vous entendu parler de cette merveille de recherche accomplie par François Arnold dans le cadre d’une observation des «éclats de mémoire» existant dans la maladie d’Alzheimer. Il a installé en 2012 un atelier en bordure de forêt et a invité des personnes atteintes de cette brûlure de s’exprimer sur des toiles en pleine nature.
Grâce à cette idée, si tendrement humaine, il a, à partir de cet espace de création unique, pu faire la preuve que l’effacement de la mémoire n’était pas une perte d’identité. Que ceux que l’on dit hors du monde, déshabillés de leurs souvenirs, sont, au centre de l’absence, intensément présents. Attentifs à tout ce qui nous échappe, attentifs à ce qui ne peut se dire, à ce qui ne se touche qu’en position de silence.
La mémoire, taquinée par une atmosphère de jeu et de créativité, pouvait se livrer comme elle le désirait sans consigne ni contrainte. Elle se disait, libre des mots et de sa langue, sous forme d’une chorégraphie improvisée, gestes précis dans chaque intention éprouvée puis petits pas légers et délicats échappant au temps et à tout espace convenu.
La mémoire n’est jamais effacée, elle s’éclipse, elle danse en s’échappant à elle-même pour libérer un trésor éphémère, insaisissable.
Les œuvres de ces patients étaient d’une incroyable et bouleversante justesse, certainement parce qu’elles enlaçaient la vie d’une manière libre et insolente, entre abandon et oubli, entre absence et présence. Elles étaient authentiques et sauvages, d’aucune manière domestiquée, elles ne voulaient rien imiter, elles échappaient à tout, et c’était bien-là leur incroyable puissance.
 
Eveleen Valadon raconte sa brume intérieure et ses pensées qui s’envolent comme des papillons « je suis absente à moi-même tout en étant consciente (…) je suis dans le « fog »(brouillard).
 
Ces patients semblent alors se fondre dans l’absence, absents du langage qui désunit, absents du temps qui limite, absents de la vie telle qu’on la lit et la déforme, cet état faisant d’eux d’incroyables canaux lumineux, des « présences pures » comme l’a si joliment dit Christian Bobin. Pour lui, ils ont «dans les yeux une lumière qui ne doit rien à la maladie et qu’il faudrait être un ange pour déchiffrer.»
 
Ils sont capables d’une attention extrême et fugace, puissante et légère, allumée et éteinte, de la présence à son total oubli. Être et ne plus être sans le prévoir ni le chercher.
 
 
Mes pensées sont des papillons, Eveleen Valadon, 2017
L’homme est un roseau pensant, Blaise Pascal, Éditions Gallimard, 2016
François Arnold, Recherche Éclats de mémoire, 2012
La mémoire pure, Christian Bobin, Éditions Le temps qu’il fait, 1999
 
A.L.F
15 juillet 2018