Mes patients arrivent très souvent avec, en plus de leur détresse, un poids terrible, celui de la culpabilité, ils se sont mis à croire qu’il y avait des douleurs plus grandes que d’autres, comme si on pouvait les lister et les comparer entre elles et ne garder que celles qui paraitraient convenables, légitimes, dignes d’être soignées.
C’est une injuste manière d’accueillir la souffrance avec laquelle ils arrivent en thérapie. C’est vrai qu’il y a une telle pression extérieure laissant croire qu’avec un peu de volonté on peut faire face aux difficultés, aux deuils et aux agressions de nos existences.
Parfois on n’y arrive tout simplement pas parce nous sommes par définition fragiles, vulnérables et faillibles, cela n’a rien avoir avec la volonté, la force ou le courage. Tout ce qui vous rend profondément triste, perdu et qui vous empêche d’avancer comme vous le souhaitez doit être respecté, accueilli et accompagné avec la plus grande douceur possible, sans l’ombre d’un jugement. C’est ce que j’appelle « prendre son chagrin par la main » et faire avec lui quelques pas, lui permettre d’être et de se livrer tel qu’il se sent en vous. Apprendre à en entendre ses colères, ses peurs, ses caprices aussi, lui signifier que vous êtes là pour lui et que rien de ce qu’il pourrait vous confier ne pourra vous faire vous éloigner, c’est comme être pour soi cet ami dont on rêve, celui qui saurait lire nos silences et qui ne juge jamais.
Apprendre à accueillir les parties blessées, humiliées, oubliées à qui l’on ne réserve que très peu de lumière. Nous préférons bien souvent mettre en scène, sous les projecteurs, nos plus grandes qualités, nos compétences, savoir-faire et nos savoir-être, nos talents et tout le reste, le plus intime, le plus fragile on l’enterre, on le cache, on le ravale jusqu’à oublier la partie la plus vraie de soi, la part qui nous informe sur notre nature véritable jusqu’au jour où elle surgit malgré nous, elle nous rappelle qu’elle est là et qu’elle a aussi le droit d’être. Elle revient souvent brutalement puisque c’est souvent le seul moyen qu’elle trouve pour attirer notre attention. Notre attention étant toujours prise ailleurs, à l’extérieur, avec d’autres, avec des choses plus importantes, plus intéressantes que soi.
Il me semble alors nécessaire de faire parfois dans sa vie des pauses, des arrêts forcés comme une période de jeûne intérieur où le silence remplacerait le bruit constant et où on laisserait faire le calme et l’absence d’attentes.
S’extraire du ronronement de nos routines.
La routine et ses habitudes qui, au départ nous rassurent sur ce que sont nos vies, se mettent à parler à nos places sans nous questionner sur nos envies et intentions profondes et c’est là que l’on se perd, que l’on s’endort juste à côté de soi. On n’est plus au centre, on n’est plus en lien avec soi mais totalement dépendant des circonstances, du contexte, des modes, des autres…
Comment alors se retrouver et se rejoindre à l’endroit de nos propres abandons, de nos désertions, de nos infidélités et nos incohérences. Se rejoindre et se mettre en accord pour le pas suivant et retrouver enfin cette certitude que la vie peut couler en nous si on l’y autorise, si on la laisse un peu faire. Accepter de lâcher l’illusion du contrôle, se laisser aussi porter, confiant et serein, et savourer ce que nous avons de précieux, notre vie, notre souffle, notre capacité de lien.
28 Septembre 2017